Musique,
photographie, peinture, gravure, sculpture, littérature,
archives, philosophie, poésie, discours, histoire et…
cinéma, Godard a mis un s à ses Histoire(s)
du cinéma. Le plus attentif des spectateurs sera
vite bousculé par un vent puissant qui disloque toujours
des morceaux d’histoire et de culture dans un kaléidoscope
d’électrochocs permanents. L’œil et
l’oreille ne peuvent jamais se poser sur rien de stable.
Des fragments, une image, des mots, quelques notes s’échappent
cependant du déferlement des Histoire(s) et
se suspendent le temps d’un mirage à notre attention
; hors du déluge dans lequel ils sont pris, ils persistent
un moment dans le vide puis s’évanouissent. Temps
de la disparition où il s’est encore produit
à l’écran d’innombrables cataclysmes
oculaires et auditifs dont il ne reste que des traces. L’œuvre
de Godard impose une contemplation paradoxalement violente
parce que l’écran des Histoire(s) est
à l’image des plis du temps où sont retenus
toutes les souffrances et tout ce qui est inachevé.
Ces plis se défont comme des convulsions car ce qui
est retenu dans l’oubli ne peut advenir que par jaillissement,
saccades, explosions, par en dessous, par derrière,
sur les côtés. Le montage permet des substitutions,
des surimpressions et des rapprochements qui font du cinéma
une grande puissance historique.
« La flamme s’éteindra définitivement
à Auschwitz » dit Godard. Le cinéma
a été le témoin impuissant et pourtant
malgré lui responsable de l’horreur. Le cinéma
des Histoire(s) se meurt en même temps qu’il
accomplit son devoir de mémoire. La faible force qu’il
lui reste concerne le passé. Sauver l’honneur
du réel n’est pas sauver le réel, mais
lutter contre l’oubli.
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